Imaginaires du comestible

DÉMARCHE

Fille de boulanger pâtissier, je suis pour ainsi dire, née le cul dans la farine, bien au chaud, peut-être tout prêt du four, allez savoir… Depuis toujours, j’ai les mains à la pâte au propre comme au figuré. 
Mettre en œuvre mes connaissances en design graphique dans des problématiques liées à l’espace, au volume et la matière, dans le but de créer, de définir les caractéristiques de produits ou collections de produits.
 Bâtir un concept à partir d’une production plastique, c’est le travail de la main au service de la pensée. Tirer parti d’un espace au profit d’une communication de projet. Opérer des ponts entre les différents champs du design : expression plastique, édition, graphisme, espace, textile, audiovisuel…
 La recherche et l’expérimentation m’ont permis d’affûter mon regard, ma curiosité et d’ouvrir mon appétit. L’appétit s’est ouvert, je suis devenue insatiable !

  • Aurélie Vannier, The dreadfull Buns

TERRAIN DE JEUX / PROCESS

De manière constante, j’opère des déplacements de matériaux comestibles pour les transposer dans un autre espace que celui de la cuisine ou du laboratoire. De même j’utilise des matériaux et outils hétéroclites, loin de l’outillage du cuisinier ou du pâtissier pour travailler l’alimentaire : textile, résille, jouets, grillage à poules, planches, pavés, carton, plaques et grilles métalliques…).
 Enfin, je porte une attention toute particulière à la mal façon, au raté, à la coulure, au trop plein, au rebut, à la rognure, au déchet de la matière, tous ces éléments déconsidérés par le professionnel des métiers de bouche, en marge du produit fini et qui ne sortent jamais de l’espace de fabrication. Je joue avec les échelles, pour inviter à voyager dans un imaginaire créé par la matérialité comestible. Je me joue des formes attendues d’une pièce en sucre, d’une brioche ou d’une guimauve, en intervenant sur la matière en devenir. Je la manipule lorsqu’elle change d’état, comme un confiseur travaille le sucre, en me concentrant sur ce que la matière donne à voir et à rêver. Avec mes outils de plasticienne, j’ai élaboré cette recherche sur la matière, comme la mise en place d’un processus. Il me permet de générer une forme, un motif, qui valorise l’aléatoire de l’écoulement, d’une matière comestible, par exemple au travers de trames diverses.

Aurélie Vannier, The Sweetest land, photo-montage, maquette en caramel et chocolat


TRIVIALITÉ & SOPHISTICATION

À nos yeux, manger est une action qui caractérise l’autre, l’étranger.
Mangeur de grenouilles, gobeur d’huîtres, bouffeur de patates, boulotteur de pain, grignoteur de sauterelles, dégusteur de caviar, dévoreur de barbaque, brouteur de verdure, goûteur de vin, rongeur d’os, masticateur de seiche, croqueur de pommes, soupeur de bière, aspirateur à chips, avaleur de couleuvre, etc…


On mesure, le degré de civilité ou d’incivilité, l’étrangeté de l’autre par son régime alimentaire. Les bonnes manières, la préciosité mise en place dans les matières du goût nous fait entrer dans le champ des frivolités essentielles. Cette préciosité réside également dans la manière de présenter, de s’approprier et de déguster. Il y a une forme de magie dans la contextualisation de la dégustation.
Elle s’accompagne de rituels qui nourrissent le plaisir et son mystère.
Nous sommes accoutumés aux produits construits, nos modes de consommation sont souvent sophistiqués, complexes.

Le champ des possibles s’élargit par des associations d’opposés, d’hybridation, de constructions nouvelles. La trivialité de l’acte de se nourrir est souvent déconsidérée. Mon process, c’est la rencontre de mondes qui jusque là semblaient s’ignorer. Quand le brut, l’animal, le trivial ou le grossier se télescope avec l’hyper sophistication, quand le «primitif» s’invite à la table d’un cinq étoiles.

Dans cette recherche, je tente de susciter les appétits tout en titillant les répulsions. Détourner les objets, les aliments, questionner leur utilité, leur fonction première. Créer des pièces à dévorer, à consommer sans modération comme des images, des friandises. Susciter l’envie, ouvrir tous les appétits, les sens, appeler l’imaginaire d’autrui.

Brock David, Fly


SUR LES PLANCHES

La table peut devenir un espace de performance. Le repas serait alors le temps d’une œuvre collective. C’est une véritable construction théâtrale qui met en jeu les passions de l’âme et les pulsions de l’estomac.
Un art de la mise en scène qui définit toute une esthétique de la table. C’est ce mélange des genres, cette exubérance, cette légèreté, ce théâtre nutritif que je cherche à mettre en œuvre dans ma production.
Loin de l’exploit technique, mais par des moyens simples, je raconte une histoire, cherche à donner du sens, pour tenter d’aller au-delà de ce fameux bon goût pour l’interroger, le déplacer, le bousculer voire le contester.


Jouer avec la matière, détourner des formes, mettre en scène pour susciter des émotions diverses, parfois contradictoires. Élargir la palette des émotions. Je désir créer la surprise, l’inattendu, partir à la découverte…

Aurélie Vannier, Cho.W


PÉCHÉ DE GOURMANDISE

Désir, envie, besoin.
La gourmandise, régressive, nostalgique et ronde est dans le champ du plaisir donc souvent du péché, je suis délicieusement confinée dans le champ des plaisirs et du péché de gourmandise.
Le charme du péché de gourmandise c’est de n’être jamais grave, un plaisir véniel, une somme de petites choses sans importance mais dont on fait grand cas. Elle s’échelonne de la grossièreté jusqu’au raffinement le plus exquis. Le gourmand quitte un monde palpable pour se transporter dans un ailleurs immatériel par le biais de nourritures terrestres. C’est une fuite confortable et régressive, adorable et désarmante.
 La tête est en fête et l’esprit s’agite, l’appétit est en marche…
Une célébration, une fête de tous les sens… Pour Marco Ferreri, allant jusqu’à la mort… La Grande Bouffe ou l’art de creuser sa tombe avec les dents ! Toutes les substances propres à l’amour, à exciter le désir sexuel ou à inviter aux plaisirs de la chair en agissant sur notre imagination sont dites aphrodisiaques. Depuis leurs origines, les confiseries, pâtisseries et chocolats sont liés de loin ou de très près aux plaisirs de l’amour et au péché. Les plaisirs de bouche, sont souvent de l’ordre du partage de sensations et d’émotions. Mais elles convoquent aussi les plaisirs solitaires, dissimulés voire secrets.
Dans la mécanique des désirs, l’évocation ou la consommation d’un plaisir immédiat, sollicite les plaisirs passés en promettant un futur agréable, le principe même de l’addiction. Par exemple, l’addiction aux substances actives d’un chocolat qui heureusement n’est pas encore tombé dans le domaine de l’alicament et reste une délicieuse habitude.

Peut-être, serait-ce alors le moment d’ajouter que le travail de création est à la fois la source et le résultat de différents fantasmes.

C’est un acte qui met en forme mes fantasmes, mes audaces et mes intuitions.


JUBILATION

C’est un débordement de plaisir dans le détournement.
Une fausse inconscience des valeurs qui contiennent toutes nos énergies dévorantes, nos pulsions animales si bien canalisées par les normes.
Plonger dans les territoires de l’enfance pour reconquérir l’innocence,
la fraîcheur, et une certaine forme de naïveté.
Imiter l’enfant dans son apprentissage des limites.
Être en quête d’une suave perversion et visiter le jardin de tous les possibles. Plonger en eau trouble et férocement disséquer.
S’adonner aux plaisirs grinçants et excitants de l’agacement, déranger, énerver, bousculer, pour faire remonter à la surface, des vérités sous-jacentes. L’espace du design, je le conçois comme un grand terrain de jeu, car ce qui compte avant tout, c’est de jouer comme il nous plaît.

Aurélie Vannier, pinky Charlotte

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